Qui se souvient ? Ils s’appellent Mau, Tim Saul et Andy Keep et sont en totale harmonie avec leur environnement et leur époque. Les trois artistes de Earthling peuvent se vanter d’avoir été les dignes représentants du mouvement trip hop. Cependant, eux aussi avaient beau venir de Bristol, ils ont également fait partie de celles et ceux qui ont été éclipsés par la Sainte-Trinité du genre, composée de Massive Attack, Tricky et Portishead. Sans grande justification, puisque leurs deux albums Radar et Human Dust n’ont rien à envier à ces géants, et Geoff Barrow collabore même sur trois titres de leur premier effort. Une injustice que nous devons en priorité à leur maison de disque, qui finira par refuser la sortie de leur deuxième LP, jugé trop sombre, en 1997. Si le destin en avait décidé autrement, le groupe n’aurait pas implosé aussi rapidement et Human Dust aurait très probablement connu le même cult following qu’un Maxinquaye, Dummy ou encore Mezzanine. C’est finalement le label français Discograph qui sortira cet album torturé en 2004. Sept ans après donc, ce qui est bien trop tard. Le monde entier s’était déjà suffisamment imprégné des sonorités de leurs confrères, ce qui a inconsciemment et paradoxalement donné à cette oeuvre une saveur de déjà vu, ou du moins déjà entendu. Mais peu importe ce passif maudit, c’est toujours avec le même plaisir que l’on découvre ou redécouvre ces bijoux de noirceur et de mélancolie, ponctués du flow dynamique, direct et vindicatif de Mau, l’un des rappeurs les plus originaux et cultivés qui soit. Il y a eu une reformation en 2010 pour l’album Insomniac’s Ball, qui à l’instar de ses prédécesseurs, se bonifie au fil des écoutes. Car la musique d’Earthling a toujours été aussi créative qu’intelligente. Elle pose un cadre précis, dont les éléments se soulignent à merveille grâce aux paroles de son MC incroyable. En digne représentante de son registre, elle marie des samples jazzy avec une atmosphère lourde, des boucles lascives et hypnotiques avec des mélodies extrêmement dark. Ce qui donne un résultat surprenant d’innovation et de profondeur pour chacun des trois albums. On peut donc conclure sur le fait qu’Earthling demeure l’un des projets les plus ambitieux et inventifs, mais aussi malheureusement les plus malchanceux des années 90. Ce qui n’empêche bien évidemment personne de se pencher sur leur discographie courte certes, mais surtout incroyablement riche et caractéristique d’un genre qu’on ne présente plus.