J’ai appris la nouvelle  aujourd’hui et cela m’a glacé le sang : Jean Luc Le Tenia est Mort !
Mais oui souvenez vous Jean Luc  Le Tenia c’était le meilleur chanteur français du monde, Originaire du Mans,  celui qui nous parlait de Laurent Boyer, celui qui s’étonnait qu’il n’y ait  jamais rien sur Arte le vendredi soir, celui qui fantasmait sur Russ Meyer, ces  chansons étaient souvent de petites histoires d’amour « toutes mes copines sont  infirmières »
Quant à la musique c’était  toujours sur une guitare folk électro acoustique, des airs à la Nirvana qui semblaient  improvisés.
On l’avait découvert grâce a son  album « le meilleur chanteur français du monde » signeé sur Ignatub le label  d’igantus l’Ancien objet. Ensuite il avait sorti plusieurs cassettes et CD  autoproduits enregistrant au total 1500 chansons.
Je l’avais interviewé à deux  reprises, une fois en direct à l’Oreille qui gratte, la # 311 et une fois pour  Nouvelle Vague. Nous avions ensuite échangé assez régulièrement par mail. Il ne  semblait pas respirer la joie de vivre et ce qui est chez Didier Super  clairement de la dérision faisait souvent penser à la folie chez Jean-Luc Le  Ténia.
Il ya quelques jours de ça, il a  mis fin à ses jours après avoir enregistré un dernier morceau, Jean-Luc est  mort, ce qui peut-être nous laisser un infime espoir que c’est une blague de  mauvais goût et que Jean-Luc fera prochainement son retour.
Enfin malheureusement je n’y  crois pas trop.
Voici l’interview que j’avais  réalisée pour Nouvelle Vague.
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                     JEAN LUC LE TENIA
La Meilleure  Interview Du Monde … Et même des Etats Unis
Lorsque  cet album a débarqué sur mon bureau je me suis dit « mais c’est quoi ce  prétentieux qui se dit le meilleur chanteur français du monde, qui est  narcissique au point de se mettre nu sur la pochette et qui ose mettre 41 titres  sur son disque ». Une fois le disque dans le lecteur c’est l’horreur, on a  affaire à un mec bourré qui en fin de soirée prend la guitare et improvise des  textes pitoyables. Au bout de 10 min j’étais prêt a jeter le disque dans la  poubelle. Et puis au fur et à mesure pour faire rire mes amis j’ai ressorti ce  disque pour leur faire découvrir ce gros délire. De fil en aiguille Jean Luc Le  Tenia est devenu culte, indispensable pour mes amis et moi. Au point que j’ai  souhaité le rencontrer pour percer le mystère ? A quel degré faut il lire ce  personnage, fou ou intelligent, bourré ou lucide, heureux ou malheureux et  surtout comment a-t-on osé sortir un tel disque. Bien m’en a pris, j’ai réalisé  là, la meilleure interview française du monde… et même des Etats  Unis.
 Est ce que  Jean Luc Le Tenia est ton vrai nom ? Non, en fait je m’appelle Jean-Luc Lecourt, ce qui est un peu…  court!
Quel est  ton parcours ? J’enregistre des  chansons avec une guitare depuis 13 ans, je fais des cassettes depuis 1994, des  concerts depuis 1997, premier cd en novembre 2002
 Comment  s’est passée la rencontre avec Ignatus et le label Ignatub ? Un ami qui faisait des piges dans le Ouest-France  lui avait filé une de mes cassettes. 3 ans plus tard Ignatus revient jouer au  Mans, et demande ce que je deviens à une amie qui fait une émission sur Radio  Alpa. Comme j’ai vu qu’il était intéressé par ce que je faisais, je lui ai filé  un cd autoproduit, et j’ai envoyé des cassettes à Matthieu Ballet (ancien  clavier de Oui-Oui, aujourd’hui arrangeur pour Miossec entre autres), qui  tournait avec Ignatus. Matthieu m’a rappelé pour me dire que lui et Ignatus  voulaient faire mon cd.
Es tu fan  des Objets ? (NDLR : L’ancien groupe d’Ignatus)   Non, je n’aime pas trop la pop à la française. Je  préfère le deuxième album solo d’Ignatus, et j’ai écouté des extraits de la  maquette de son prochain, qui devrait être très bien, plus  aéré.
 Est ce que  Didier Wampas a vraiment dit que tu étais le meilleur chanteur français du monde  ? Il a dit dans une interview que  j’étais le meilleur chanteur français; Alors je l’ai appelé pour lui demander  s’il le pensait vraiment. Il m’a répondu que oui, et qu’il en prenait la  responsabilité! J’ai rajouté “du monde”, et le tour était  joué!
 Te  considères tu toi même comme le meilleur chanteur français du monde ? oui, à l’aise
 Quelle est  l’histoire du morceau de Jean Luc Le Tenia que l’on retrouve sur  l’album Chicoutimi des Wampas ? C’était un morceau que j’avais joué  et enregistré lors de mon premier concert. J’ai rencontré Didier Wampas en  octobre 1997, à un concert à l’Ubu de Rennes. je venais de me séparer de la  seule copine que j’ai vraiment eue jusqu’à présent, j’étais dans un état  spécial, je lui ai posé plein de questions sur la vie, l’amour, la mort, la  cicatrice qu’il a sur la joue…. à cette époque il n’y avait pas encore le site  des Wampas, et c’était extra-ordinaire pour moi de pouvoir lui parler (ça l’est  d’ailleurs toujours d’une certaine manière). Je lui ai filé une cassette avec 5  morceaux dessus, dont “Jean-Luc le ténia”.Je pensais qu’il m’avait oublié, mais  deux mois plus tard, juste avant Noël, il m’appelle pour me dire qu’il l’avait  repris en fil rouge durant un concert, et cerise sur le gâteau, enregistré pour  la mettre sur Chicoutimi !!C’est curieux car je me rend compte que  c’est comme si la musique avait remplacé ma copine.
 Que penses  tu des Wampas ? Le plus grand bien!  c’est le meilleur groupe de rock français du monde !!! Didier a une personnalité  forte et généreuse qui résonne dans ses chansons. Je suis aussi fasciné par sa  Foi, peut-être parce que je ne l’ai pas ?
 Dans quel  état écris-tu tes chansons ?  Ca dépend de mon humeur qui se  reflète du coup dans mes chansons. Des fois un peu ivre, mais la plupart du  temps je suis normal, ce qui est une façon de parler car beaucoup de gens  pensent que je ne suis pas normal… disons que des fois il faut que je sois  énervé, d’autres fois triste, ou calme, ou très triste… faire des chansons est  devenu quelque chose de primordial pour mon équilibre, je suis quelqu’un à  pulsion suicidaire, mais sans jamais être passé à l’acte. Parfois j’ai  l’impression de me suicider symboliquement dans mes chansons, mes concerts, et  ma démarche artistique.
 Ou vas tu  chercher ton inspiration ? Dans mes  frustrations, mes fantasmes, une fille aperçue dans la journée et qui m’a  semblée soudain très belle, des évènements de ma vie, des choses lues vues et  entendues. Il m’arrive souvent d’être inspiré en regardant un film, alors je  mets le magnétoscope en pause et roule ma poule. Je vais assez vite pour faire  la chanson, mais c’est souvent le fruit d’un mûrissement.
 Quel est  ton plus grand phantasme musical ?  Me faire sucer par une jolie  fille sur scène.
 Comptes tu  un jour déménager du Mans ? Peut-être, pour une fille je  pense
 Es tu  vraiment le beautiful Loser que tu te plais a décrire dans tes  chansons ? Hélas oui, même si ça commence à se débloquer  lentement. c’est vraiment bizarre. je reste optimiste, mais je suis triste car  j’ai l’impression que chaque râteau me rapproche de la mort ; toujours mon  comportement suicidaire!
 Es tu  vraiment aussi narcissique que ça ? Ton prénom Jean Luc revient régulièrement  dans tes chansons  J’ai besoin de m’approprier mon prénom ! Jean-Luc  Le Ténia reste un personnage, mais je ne suis pas très différent de lui. En même  temps il y a beaucoup de Jean-Luc sur terre! Je pense être effectivement  narcissique, à tendance mégalo-paranoïaque. Je manque beaucoup de confiance en  moi, je pense qu’il faut chercher là-dedans. 
 Quelle est  ta formule sur scène ? une voix une  guitare
 Combien as  tu de chansons a ton actif ? 941 à ce  jour
Est ce que  l’album se vend bien ? Bof, on en est  à 700, en comptant mes ventes personnelles. Au bout de bientôt un an ce n’est  pas transcendant … j’aimerai cependant en vendre beaucoup, mais comme l’a  rajouté Valentine, la compagne d’Ignatus: “…pas à n’importe quel  prix”!
 As tu un  autre album de prévu ? Je continue à  sortir des cassettes, j’en ai une quarantaine. La dernière est sortie cet été et  s’appelle: “une copine digne de ce nom”. On peut me les commander directement ou  les acheter à mes concerts. Pas de nouveau CD pour l’instant, on n’a même pas  rentabilisé le premier!
 Arrives tu  à vivre de ta musique ? Non,  j’aimerai bien m’y consacrer totalement, mais étant donné ma façon d’envisager  le succès, ce n’est pas pour demain. Je préfère un solide enracinement  underground.
 Quelle est  l’histoire du morceau Jean Luc qui clos ton album ou tu répètes ton prénom  durant 3 minutes 30 ? J’avais envie  de le faire, répéter mon nom jusqu’à ce qu’il se passe quelque chose. Il y a une  autre origine à ce morceau, mais je ne préfère pas en parler en  public.
 Es tu  vraiment contre le cannabis comme tu le cries dans l’album ?  Oui, car je n’aime pas l’effet qu’il a sur moi: je  deviens hagard ou malade. La dernière fois que j’ai fumé de l’herbe, j’ai cru  que j’allais disparaître : terrible angoisse qui a signé la fin de mes  expérimentations en ce domaine. Je n’ai jamais pris d’autres drogues à part  l’alcool et les cigarettes. Je crois que la cocaïne m’irait bien, mais étant  donné les conneries que je fais déjà avec l’alcool, je ne vais pas tenter le  diable. D’une manière générale je suis gourmand.
 Pourquoi  cette pochette ? J’aime bien  l’expression de mon visage, on ne sait pas si je suis moqueur, triste , ce que  je pense. je trouve qu’il y a quelque chose dans ma pause qui laisse à penser.  le côté pris sur le vif, et bien sur le téton  apparent!
 Qu’as tu  contre Delarue ? : Il est énervant  avec son visage lisse et son regard de pute, et ma mère l’aime bien! si j’en  parle dans la chanson, c’est parce qu’au court de cette improvisation son nom  est venu, probablement à cause de son prénom !
 Qu’as tu  contre Russ Meyer ? : J’apprécie  beaucoup les films de Russ Meyer, sa manière de filmer, son humour et bien sur  les tétons !
 Qu’as tu  contre Les téléfilm allemand d’arte ? : Déjà un téléfilm c’est chiant, mais alors un  téléfilm allemand !!! il y a quelque chose de morbide dans l’art allemand, et ce  même avant la seconde guerre mondiale.
 Qu’as tu  contre Laurent Boyer ? : Je n’ai rien  contre lui, mais à une période il mettait vraiment trop de mascara !! il a quand  même découvert Leslie, la princesse du R’n’B, qui est  mancelle
 Qu’as tu  contre Henri Salvador ?: Il est puant  de prétention, lorsque son dernier album s’est mis à marcher il répétait à  longueur d’interview que c’était parce que les gens avaient besoin de belles  chansons comme les siennes, et que le rock n’est que du mauvais jazz. Il se pose  comme le bon goût, alors qu’il n’a longtemps été que le négro rigolo, les black  panthers devraient le fusiller!
 Tu pars sur une île déserte tu as le droit  d’emporter :
Tu pars sur une île déserte tu as le droit  d’emporter : 
Un Disque  : “retired boxer” de Daniel Johnston  (c’est une cassette en fait)  
Un Film :  “comment je me suis disputé (ma vie  sexuelle)” d’Arnaud Desplechin
Un Livre :  “Dressez haut la poutre maîtresse  suivi de Seymour une introduction”, de J.D.  Salinger.
                 Propos recueillis par Simon  Pégurier.
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 Jean-Luc est mort
Avec Jean-Luc Le Ténia, c’est l’une des principales personnalités du Mans  (avec Steevy) qui s’éteint de manière dramatique et le mouvement lo-folk  français (dont il était le seul représentant déclaré) qui perd son principal  artisan. Le Ténia, c’était un homme misérable, sans lustre particulier, un homme  qui travaillait le jour à la Médiathèque Louis Aragon du Mans (aux disques ou  ailleurs), le genre de mec à lunettes, cheveux et yeux tristes sur le front, qui  vous prend la carte de bibliothèque en disant juste :“ Bonjour, vous avez pris  un article de trop” sans un mot, un vrai professionnel et en même temps un  mystère à l’état brut. Lisait-il les recommandations des lecteurs ?  Installait-il lui-même ses disques autoproduits dans la boîte (à chaussures)  posée près du stand principal où l’on trouvait tous ses disques ? Est-ce qu’il  vous considérait quand vous preniez un bon CD en prêt ? Le Ténia était aussi nul  que nous, à part qu’il faisait des chansons.  
Le Ténia était à sa manière une figure du rock indé français : auteur de  milliers de chansons, de centaines d’albums (allez, de dizaines, si on ne compte  que ceux qui ressemblaient vraiment à des disques et pas juste à des K7 virales  refilées aux uns et aux autres). Le Ténia jouait Daniel Johnston comme s’il  jouait le Ténia. Il sonnait enfantin et bêbête mais dézinguait Cantat et  d’autres pointures au fusil humoristique. Son “Le Plus Grand Chanteur  Français Du Monde” était un petit chef d’oeuvre d’équilibre qui m’a  toujours fait penser aux miniatures pop des premiers Babybird. Il faisait des  chansons débiles et des chansons touchantes qu’il assemblait avec deux bouts de  ficelles pour les faire tenir ensemble. Il y a quelques années Le Ténia avait  failli monter à la capitale : il avait été adoubé du bout des lèvres par  le petit milieu parisien des musiques alternatives : un peu Wampas qui lui avait  dédié un chanson, un peu Despentes et quelques autres, avant de se prendre la  Tour Eiffel dans la gueule (Le Ténia était un vrai con, un parasite) et de  rentrer la queue basse entre les jambes : son heure était passée.
Difficile de prétendre que ce mec méritait un autre sort : il n’a eu que ce  qu’il valait sûrement, que ce qu’il méritait. Ses chansons étaient des  cache-misère comme toutes les chansons. On en aimait quelques unes. Pas mal en  vérité. Mais on ne les écoutait pas. Les filles en appréciaient certaines.  J’imagine qu’à cause d’elles (les chansons), il avait dû en choper quelques unes  (les filles). Il y a quelques semaines, j’ai vu Le Ténia à un concert de Beards  dans un squat pourri de sa ville préférée. Il avait l’air souriant dans la nuit,  seul, comme souvent, mais cool comme Basile. Il buvait une bière en boîte. Le  Ténia écoutait la musique avec une attitude exactement opposée à la manière dont  il en faisait : sans bouger, sans broncher, sans parler, calme et tranquille, la  musique, ses oreilles et lui. Il avait un visage poupin pour un ver de 37 ans.  La semaine dernière, Le Ténia s’est suicidé dans son appartement. On en sait pas  plus. L’appartement va bien. Je dois rendre mes livres à la médiathèque ce  samedi. J’espère que ce n’est pas trop tard.  
“Et la terre continue à tourner
les étoiles continuent à briller
l’univers continue à s’étendre
et les filles…” comme il chantait. Il y a un truc qui est plus  sévère que la musique : la vie.
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