Bertrand Cantat – Amor fati

Avec Amor Fati, Bertrand Cantat signe son premier album sous son propre nom. Mais le retour de l’ex-chanteur de Noir Désir nous renvoie toujours à sa condamnation pour le meurtre de sa compagne, Marie Trintignant. Cette chronique de l’album relève donc de l’exercice d’équilibriste, d’autant plus que l’artiste y règle des comptes… 

Des faits

15 ans après son crime, le retour de Cantat  dans la lumière, est-il possible ? L’avalanche de mentions «  Bertrand Cantat » sur les sites féministes (parfois misandres) des réseaux sociaux, qui réécrivent l’histoire en affirmant des choses approximatives voire erronée ; est finalement bien exaspérante.

Condamné à huit ans de prison pour « coups ayant entrainé la mort », à Vilnius, en 2003. La condamnation était proportionnée aux actes et conforme à la jurisprudence.

Selon le ministère de l’Intérieur, chaque année  160 personnes sont tuées par leur partenaire, 130 femmes et 30 hommes. Dans la plupart des cas, le meurtre est commis dans un contexte de séparation, et après une longue histoire de violences.

La prison c’est  la sanction pour le condamné et  la protection de la société. Il est prévu la nécessité de préparer la réinsertion de la personne détenue, afin de prévenir de nouvelles infractions. (ça c’est la loi..)

Bertrand Cantat, selon la formule consacrée, a “payé sa dette”, et il a aujourd’hui  les mêmes droits que
n’importe quel citoyen (c’est aussi la loi). Dans le cas présent, la question posée est donc de savoir s’il peut revendiquer un droit à l’oubli

L’album Amor Fati

 Après l’aventure Détroit (en 2013), Bertrand Cantat revient fin 2017, pour la première fois en solo. L’ancien chanteur de Noir Désir poursuit sa route avec intensité, gravité et tristesse.

Dans l’ex propriété de Nino Ferrer, La Taillade, dans le Lot. Les mots simplicité, « force » « profondeur » «apaisement »s’appliquent aux chansons que Bertrand a enregistré là,  un quart de siècle plus tard, dans une dépendance que le fils de Nino, Arthur, a transformé en studio d’enregistrement.

Entouré de fidèles, dont Pascal Humbert et le producteur Bruno Green, il enregistre ce premier album solo. Un voyage
introspectif.

Comme à son habitude, le chanteur de Noir Désir n’hésite pas à exprimer ses opinions politiques dans ses chansons. Après sa célèbre critique acerbe d’un magnat des médias, “L’homme pressé”, sortie en 1997, Bertrand Cantat s’attaque encore, vingt ans plus tard, à l’actualité. Le chanteur continue d’exercer son regard critique sur la société,
ce qu’il a toujours fait.

Dans Amor Fati, citant Nietzsche et son amour du destin

“Ce qui est, est”, voilà ce que répond d’avance Bertrand Cantat. Dans cette chanson titre, il enfonce le clou : « Eh toi qu’est-ce que tu sais d’ma vie, qu’est-ce que tu sais d’ma peine »

Dans Aujourd’hui ? Là, s’il a été un porte-parole de la génération altermondialiste au temps de Noir Désir, sera-t-il encore entendre des cortèges militants ?

Silicon Valley” critique Google et ses “algorithmes”.

Crois moi j’irai te chercher jusqu’au fond de tes désirs ; ceux que tu n’as pas
encore. J’exaucerai sans effort tout ce que tu ne veux même pas
”  chanté d’une voix machiavélique.

Dans “Excuse my French” où il pointe du doigt le “citoyen lambda” prisonnier de  l’économie.

Tu ne connais pas ton bonheur, ton malheur, à quelle sauce tu seras dévoré, avalé…
Tiens toi droit et tu seras traité comme un iench
”.  

Ce titre anglais, introduit la chanson suivante
“L’Angleterre”, dans laquelle il évoque les migrants et le Brexit.

Brexit désillusion, tu peux crever dans la Jungle, on a rien à foutre de ta gueule. Tu vas rester planter là”.

La nuit est au centre de “Anthracitéor” il chante ici

surgit d’un sommeil blanc d’ivoire, la pierre de ta présence”. On ignore à qui il s’adresse et rien n’est écrit explicitement dans son refrain “Je ne connais pas de loi qui pourrait m’éloigner de toi”. Ces mots pourraient être écrits pour évoquer Marie ou Krisztina qui toutes deux “manquent à la Terre” dit –il encore.

Musicalement, Amor Fati est un beau disque parce qu’on y retrouve un Bertrand Cantat qui a vieilli, dont la voix
demeure incandescente. Le rock nerveux cède le plus souvent la place à des chansons aux tempos lents, où les arrangements électroniques crépusculaires (Sillicon Valley, J’attendrai) serpentent au milieu les guitares. Accompagné par Pascal Humbert et Bruno Green, déjà membres de Detroit, on retrouve aussi la trompette d’Erik Truffaz. On n’en doutait déjà pas, après ce retour sans fin, Cantat sait faire des chansons et les incarner. Mon dernier gros coup de cœur (rock français) remontait à H F Thiéfaine Stratégie de l’inespoir  en 2014 – Il y a maintenant Cantat avec Amor Fati.

Ceux qui l’aiment continueront de l’aimer, ceux qui ne pardonnent pas qu’il continue de s’exprimer, le détesteront.

Gil Tau

 

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