Tarmac

 

Gaëtan Roussel lorsqu’il était leader de Louise Attaque, chantait du haut de ses multiples disques de platines « Faut pas se laisser gagner par l’euphorie de croire qu’on est un Homme important ». A ce moment là on se demandait si cela était de la fausse modestie. Son refus des gros médias et le fait de renvoyer sans cesse les compliments a ceux qui l’avaient aidé nous laissait penser qu’il disait juste. La suite avec la mise en parenthèse de Louise Attaque pour créer Tarmac avec son ancien co-équipier Arnaud Samuel confirmait de plus en plus l’authenticité des ses dires. Voilà des aventuriers prêts à abandonner le confort pour l’amour de la musique et du risque. Après un premier album « L’atelier » fait dans l’urgence et marchant un peu sur les plate bandes de Louise Attaque voilà le duo qui revient aujourd’hui avec un virage a 180° et « Notre époque » album en forme d’invitation au voyage. C’est un disque étonnant et ambitieux où les diverses influences et accents se télescopent continuellement.

Entretien d’une heure rare et sans tabous avec un groupe précieux et d’ordinaire avare de ses mots, préférant habituellement s’exprimer par sa musique en auto-suggérant des rêves, laissant le soin à  l’auditeur de se faire ses propres images.

 

Comment s’est formé Tarmac ? est-ce au détour d’une rencontre, au contour d’un désaccord ou d’une dissolution ou tout simplement par envie de changement ? Gaëtan Roussel : Louise Attaque ne s’est pas arrêté parce que Alex, Romain (aujourd’hui tous deux dans Ali Dragon) Arnaud, ou moi avions envie de faire autre chose dans le cadre de la musique. Ca s’est arrêté parce que tous les quatre on en avait besoin. Ce qui est rigolo à voir aujourd’hui c’est que tout le monde a continué à faire de la musique. Alors pourquoi Arnaud et moi avons-nous continué ensemble ? Sans doute, tout simplement, car on en avait envie. Mais au moment où on a arrêté Louise Attaque on ne s’est jamais dit d’entrée qu’on allait faire un truc ensemble, on a simplement continué a faire de la musique. A force d’échanges de bouts de cassettes, de bouts de plans musicaux et bien on s’est aperçu que ça donnait quelque chose et on en a fait un disque. C’est aussi parce qu’on fait un peu de musique tous les jours qu’on a fait un deuxième album. Pourquoi tous les deux ensemble : tout simplement parce que ça fonctionne bien.

 

Le premier album « l’atelier » semble fait dans l’urgence alors que « Notre époque » est beaucoup plus travaillé Arnaud Samuel : Oui, mais on n’ a pas voulu a tout prix être en rupture par rapport au premier. Comme l’atelier s’est fait assez vite, après l’arrêt de Louise Attaque on est allé vers quelque chose qu’on ne connaissait pas, c’est a dire un style épuré qu’on définirait comme deux lignes qui se croisent, qui s’enchevêtrent, une voix, un violon, quelque chose d’assez simple. On a  pas voulu aller plus loin, on a souhaité garder les chansons telles quelles.

Comment expliquez-vous votre si grosse évolution entre les deux albums ?GR : Ca vient de nos envies. Les influences qu’on fait transparaître on les avait déjà quand on a fait le premier album. On ne les avait pas utilisées à ce moment là par choix. On avait aucune idée d’être en rupture avec ce qu’on a fait avant. Il n’y a pas de concept derrière, juste des envie, des essais… On essaie de garder une certaine spontanéité, après il s’avère qu’il y a moins de violon et un peu plus de guitare. Ca fait simplement partie de la manière dont on a mis en forme ce qu’on était en train d’être.

Comment s’est passée la création des morceaux du dernier album ? votre écriture a t’ elle changé ? par le passé on retenait en premier les textes alors qu’aujourd’hui c’est la musique.AS : en règle générale nos compositions sont une construction. Les textes arrivent en même temps que la musique. C’est vrai que sur le dernier album on a utilisé la voix et les textes d’une manière un peu différente que part le passé. La musique aussi a était utilisée différemment, on peu dire qu’elle est plus planante. Je pense que la musique et les mots sont plus suspendu plus suggérés, on veut davantage insuffler des images que par le passé. Ca n’a pas été un choix de départ c’est venu progressivement en composant les morceaux. Lorsqu’on s’en est rendu compte on a veillé à garder cette cohérence, ce climat. Il nous a semblé aller vers quelque chose de plus poétique que quelque choses d’affirmé et développé.La voix suggère des images en étant très abstraite, quant aux instruments  ils  ne sont pas là pour faire de la démonstration, mais pour rester en suspension.  

 Comment comptez-vous  retranscrire sur scène l’album « Notre époque » qui est plus électro, plus travaillé que le précédent ? AS : On va y réfléchir. Pour l’instant on a pas prévu de tourner. Tarmac sur scène, c’est 5 personnes et si on doit jouer « Notre époque » sur scène il faudra au minimum rajouter une sixième personne. Il faut donc que tout le monde soit disponible en même temps et ce n’est pas le cas, car on fait tous partie d’un autre groupe : deux d’entre nous sont avec les Wampas et nous même nous sommes avec Louise Attaque. On espère pouvoir organiser ça pour la fin de l’année : Novembre ou Décembre. On ne devrait pas ajouter des machines, les rythmiques devraient venir de la batterie. On travaillera par contre au niveau du son.

La chansons « La lune » nous renvoie a The Gotam Project est-ce que ça fait partie de vos influences ?GR : C’est marrant moi j’aurais plutôt dit «De velours». Vous avez raison ça doit en faire partie, il y a de ça, on les a beaucoup écoutés, donc inconsciemment ils y sont. Et tant mieux, si tout au moins ça reste nous. Mais c’est drôle parce que Gotam Projet ne joue pas comme nous du mélodica. 

Pour rester dans les influences du dernier album vous semblez avoir beaucoup de mal a donner des noms, il y a seulement sur la bio le nom de Sandinista des Clash et Gorillaz et encore cela est  susurré du bout des lèvres ?AS : C’est que les influences ne sont pas conscientes. On écoute beaucoup de musique, on est toujours influencés inconsciemment par quelque chose. Mais c’est la vie qui est comme ça. C’est les autres qui peuvent définir les influences, pas nous. Si on a cité Clash et Gorillaz c’est pour donner quelques pistes, il y a aussi ESG, un groupe qu’on a découvert récemment, qui nous plait énormément et qu’on écoute beaucoup en ce moment. Forcement il y a quelque chose qui va naître de cet amour car on en est imprégnés. Les influences sont inconscientes et d’une importance relative, car on essaie avant tout de développer ce que l’on veut exprimer. Ce qu’on développe c’est une idée, une ligne directrice, un choix d’instrument pour chaque morceaux, un choix de texte. ça c’est conscient, c’est la direction dans laquelle on veut travailler. On cherche par exemple que chaque album soit différent du précédent.

 Comment c’est passé le choix des deux poètes (Walt Whitman & Fernando Pessoa) que vous avez mis en musique ?    GR : Pour Walt Whitman c’est Arnaud qui y a pensé. C’est venu comme ça sur des titres particuliers, pas avec une idée préconçue d’avance. C’est parti du morceau «Notre époque». Arnaud a trouvé que ça collait bien avec les paroles qu’on était en train d’écrire, il a pioché dans le bouquin et il a sorti des bouts de textes en anglais qu’on a trouvés complémentaires à ceux qu’on écrivait. Après on y a mis une forme. On n’a pas utilisé les deux poètes de la même manière, pour Walt Whitman c’est en anglais et c’est Arnaud qui récite et pour Fernando Pessoa c’est un texte en français que je chante. C’est venu naturellement sur ce qu’on était en train de faire, c’est arrivé sur la fin, ça nous a permis de nous rendre compte que ça collait à l’ambiance générale du disque.

La production des 2 albums de Louise Attaque a été assurée par une pointure : Gordon Gano qu’en est il des albums de Tarmac ?AS : On s’est posé la question à un moment donné, mais comme on n’a pas écrit l’album d’un coup en se réunissant pour composer des chansons mais petit à petit entre deux tournées, on a eu tout le temps de coucher des idées sur l’ordinateur, de travailler un peu a chaque fois le son. Finalement de fil en aiguilles au moment où on a eu assez de morceaux pour rentrer en studio, on n’a pas eu besoin de compléter notre travail. En studio ça a juste été un travail d’enregistrement avec nos copains du reste du groupe. Le processus de création de l’album a été assez long, et plus par accumulation d’idées que d’un gros travail d’un coup en studio. 

Donc quand on s’est posé la question de la réalisation de l’album, on faisait déjà tout nous même, on s’est dit qu’on irait seuls au bout et qu’on assumerait tout. Avant l’enregistrement proprement dit des chansons on a fait un deal avec les autres musiciens en leur disant qu’on acceptait leurs pates et donc le fait qu’ils puissent changer les morceaux en les personnalisant, en échange de quoi c’était nous qui devions avoir le dernier mot pour savoir quelle prise on garderait. On a utilisé leur travail de la manière dont on le souhaitait. 

Gaëtan quelle est l’histoire du morceau que tu interprètes sur le dernier album solo de Gordon Gano «Hitting The Ground ». Nous trouvons que ce morceau sonne étonnamment vieux (du son de la fin des années 90) qu’en est il vraiment ? es-tu flatté d’être en si belle compagnies sur ce disque (PJ Harvey, Frank Black, Lou Reed, John Cale…) ?GR : C’est marrant ce que vous me dites, car l’enregistrement n’est pas vieux. Ca veux dire qu’ils sont Hold School dans la production. Je partage votre opinion. On m’a fait une proposition et je l’ai acceptée. A l’époque de Louise Attaque, Gordon nous avait proposé de traduire et de chanter la chanson que PJ Harvey a fait pour cet album. Ca ne s’est pas fait avec Louise Attaque car c’est arrivé au moment ou on a décidé d’arrêter. Gordon m’a demandé à nouveau si je voulais chanter seul et faire le texte, j’ai accepté. Je me suis retrouvé a écrire un texte qui n’est pas la traduction de la chanson « Hitting the ground » de PJ Harvey car je suis bien incapable de traduire un texte de l’anglais au français. Je lui ai donc proposé un texte que j’ai écrit en français, que je suis ensuite aller chanter lors d’une séance aux Etats Unis. C’était super à partager, j’ai enregistré avec le soutien du groupe Soul Coughing. Ca a été une super expérience, un bon moment Par rapport aux différents invités, on ne s’est pas rencontrés,  je n’ai pas travaillé avec eux.   

Pour nous la principale force de Tarmac et Louise Attaque vient des textes de Gaëtan que nous trouvons  humbles, timides, mélancoliques, fragiles et humains êtes-vous d’accord avec ces 5 adjectifs ?GR : Je peux pas dire oui parce que c’est vachement flatteur. J’espère qu’il y a de ça.AS : Chacun peut mettre les qualificatifs qu’il veut. Mais cela nous est vachement dur de donner une définition. On ne s’est jamais posé la question de qualifier nos textes car on travaille dessus, mais je ne suis pas du tout sur que l’on utiliserait les mêmes termes. Une partie peut être, on utiliserait peut être les même idées mais pas dites de la même manière

 Pour rester dans l’analyse des textes de l’album « l’atelier » Gaëtan dit «c’est pas facile d’être emprunté ». Faut il le prendre comme un manque de confiance en soi ou le fait qu’une histoire d’amour est toujours passagère ?AS : Au risque de vous décevoir on ne fait pas d’analyses de textes. C’est bien ce que vous dites, car je retiens qu’on peut avoir deux versions de ce que l’on écrit, et je suis sur qu’il peut en avoir d’autre. C’est d’ailleurs ça qui nous plait et je pense que c’est encore plus flagrant sur le dernier album. On travaille toujours de manière spontanée, on laisse venir, on met ce que l’on est, dans notre travail. On écrit, on fait de la musique par rapport à ce qui nous interpelle, on la ressort ensuite sous une forme qui est la nôtre. On souhaite que ce que l’on fait ne soit pas figé mais que ce soit abstrait. Il n’y a donc pas d’explications de textes à avoir, il faut voir si ça parle si quelqu’un va prendre une phrase et lui mettre un sens, ou à l’inverse est ce que quelqu’un ne va rien prendre car cela ne lui parle pas, ou bien comme vous, deux personnes vont y mettre un sens différent. C’est ce qui fait que le disque peut vivre ou pas, et avoir autant d’histoire que de personnes qui l’écoutent.             

Et pour toi Gaëtan est ce que ça te raconte quelque choses ?GR : (N.D.L.R. Long silence plein de sous entendus) Je ne me rappelle plus.


Il y a une autre phrase que nous adorons sur « l’atelier » qui dit « Ne rien faire mais de mieux en mieux » ça nous renvoie à Hugo Prat l’auteur de Corto Maltese et son livre biographique  « le désir d’être inutile » peux tu aller plus loin ?AR : Oui oui merci mais je ne connais pas ce livre là.

 Pour finir avec l’analyse de textes où veux tu en venir avec la phrase que l’on retrouve sur « Notre époque » la chanson titre du dernier album « et comment fait on ? sur quelle idée l’on se repose» Penses-tu que le absence d’idéologie ou de religion explique le manque de repères des générations actuelles ?

AR : Sur cette chanson en particulier on a mis l’accent sur des interrogations. C’est vrai que par la musique, par l’écriture des textes on a l’impression de participer au monde. Et il est vrai que l’on a eu envie d’aller vers l’interrogation, car c’est cela que nous renvoie la période dans laquelle on vit. Le XXe siècle fait que l’on a aujourd’hui moins de certitudes, beaucoup d’idéologies sont tombées. On appréhende le monde qui nous entoure ou la vie tout simplement avec plus de questions que de certitudes. C’est pour refléter ce sentiment là qu’on a utilisé ces termes, et que l’on a donné ce titre a l’album.   

Le coté plus militant ne vous tente pas, avez vous un message à faire passer ?AR : Nous ne sommes pas des militants. On ne fait pas un disque pour faire avancer une cause. Mais quand on peut utiliser notre musique pour servir des causes qui nous semblent justes on le fait, comme par exemple en participant à des concerts de manière bénévole. Par contre on ne fait pas de politique a travers notre musique, c’est un choix, d’autres le font c’est louable, nous non. On essaye simplement d’exprimer notre opinion, notre sensibilité au travers de la musique. On a la chance de pouvoir le faire car la musique permet de diffuser la sensibilité au travers de ton travail ce qui n’est pas donné a tout le monde. C’est la seule chose qu’on veut faire, on ne veut pas donner de messages on ne prône rien du tout. Mais bien sur on a un avis sur ce qui se passe autour de nous, mais ce n’est pas par le biais de la musique qu’on va le dire. En tous cas pas sous la forme de politique politicienne.

GR : La définition du mot politique est plus large, on peut y inclure le rapport a l’autre. C’est pourquoi si vous dites militant on vous répond non. On n’a pas envie de dire pour qui il faut voter. Mais on dit quand même des choses, la preuve vous relevez des phrases. On vous répond qu’on suggère, mais on est quand même pas complètement détachés de ce que l’on voit, ni de ce que l’on a envie de faire en tant que personne. On vit dans la société et on essaye de vivre d’une certaine manière par rapport a ce qui nous entoure et on espère que cela se retrouve dans la musique. Si on réduit politique a la politique politicienne Arnaud a raison, par contre si on prend l’ethnologie de politique, j’espère qu’on se rend compte qu’on est pas complètement dans notre bulle, mais qu’on essaye d’être partie intégrante du monde.

Vous êtes investis dans la lutte contre le SIDA notamment avec Solidays comment cela se passe-t-il ? 

GR : A Chaque fois qu’on peut jouer pour Solidays on le fait. Solidays, c’est vraiment bien car c’est sur plusieurs jour, c’est un lieu de fête où on peut avoir accès a plein d’infos. Nous on motive les gens pour venir et du coup il prennent plein d’infos, plein de préventionsNous connaissons deux de vos reprises : « Vesoul » de Brel joué en concert à l’époque de Louise Attaque et « La ballade des gens qui sont nés quelque part » de Brassens que l’on retrouve sur le premier Tarmac. Pourquoi ces deux choix pris dans les grands classiques Français ? Y a t’il d’autres reprises que nous ignorons ? et pouvez vous revenir sur celle de Brassens car elle nous gêne un peu, nous la vivons comme une critique du Chauvinisme alors qu’il n’y a pas plus chauvin que nous. 

AS : Brel et Brassens c’est simplement le hasard. A un moment donné on tombe sur un texte, ou sur une manière de jouer qui nous plait. Par exemple avec Vesoul on aimait beaucoup la manière qu’avait Brel de jouer, ça correspondait à ce que l’on faisait sur scène avec Louise Attaque, c’est  à dire assez rock. Pour Brassens c’est une demande. C’est une maison de disque qui voulait faire un tribut a Brassens qui nous a sollicités. On a réfléchi, on a regardé ce que Brassens faisait car on connaissait un peu mais pas dans le détail, et on est tombés sur un texte qui nous a plu. Il traite d’un sujet qui nous semblait vrai, le danger et l’aberration des gens qui restent campés sur leur régionalisme, leur nationalisme, ou sur tout particularisme quand cet enracinement a leur terre les empêche de s’ouvrir l’esprit. Dans un sens plus large ce disque traite du manque d’ouverture que chacun peut avoir individuellement par rapport a l’autre, non seulement au niveau régionalisme mais au sens plus large, au niveau psychologique. On lutte contre ça tous les jours, contre le fait que chacun se réduise a soi même. On a donc participé a cette compilation, on a trouvé ce texte extrêmement actuel, et  intéressant pour nous. On espère que cela a été valable, on a cherché a s’exprimer autrement que Brassens. Il utilise une manière détachée alors que nous on utilise une manière plus violente.

GR :  On a pas d’autres reprises dans notre répertoire. Les reprises c’est comme le reste ça dépend des envies, ça ne c’est  pas présenté. On n’a pas tenté le coup sur d’autres titres pourtant on a plein d’autres chansons qu’on pourrait reprendre.

A l‘époque de Louise Attaque vous étiez connus pour aider les petits groupes, je pense notamment a Mickey 3D le faites vous toujours avec Tarmac ?GR : On a moins l’occasion de le faire avec Tarmac car ce n’est plus la même démarche, on n’a pas le même impact avec Tarmac qu’avec Louise Attaque. Avec Louise Attaque c’était simple, on tournait dans des grandes salles et on avait tous loisirs d’inviter qui on veut. On continue tout de même un petit peu, notamment avec un groupe qui s’appelle Dahlia et  avec une lilloise Laetitia Shérif, à la mesure de ce que l’on peut faire avec Tarmac.          

 Votre univers dès le nom de Tarmac renvoie aux voyages.  Avez-vous encore le temps de découvrir le monde au milieu du cirque médiatique ?GR :  On voyage oui, mais on n’est pas toujours aux quatre coins du monde. Ce qu’on propose, ce dont on parle c’est autant des voyages réels que des voyages imaginaires. Dans «Merci pour tout» le refrain est en espagnol et dit le souhait d’être toujours en mouvement, de battre le pavé. Notre envie de ne pas s’arrêter nous a motivés pour reprendre le texte de Brassens, c’est ce qu’il dit : ne pas se figer, être perméable, oublier les frontières. C’est cette idée là qu’on veut faire passer, parfois, elle est liée au mouvement physique et la plupart du temps, elle est imaginaire. Pessoa qu’on a reprit sur l’album ne signait pas sous des pseudonymes mais sur des hetéronymes car il avait l’impression d’être plusieurs personnes à la fois, il était vraiment convaincu qu’il n’était pas un mais plusieurs. Pour Whitman qu’on reprend aussi, dans le texte «Chaque ville» il explique qu’il est de telle et telle ville et pourtant il n’est  pas allé dans toutes ces villes mais ça dégage une idée. Après on la reçoit ou pas, nous on l’a prit comme ça. Quand on parle de voyages c’est ça que l’on veut dégager pas forcement le fait de faire le tour du monde.  

Pourquoi utilisez vous si régulièrement les langues étrangères dans vos chansons et particulièrement l’espagnol  ?GR : Je ne tiendrais pas une conversation en espagnol, mais j’aime beaucoup cette langue et j’aime ce pays. J’y suis allé plusieurs fois. Pourquoi cette langue ? C’est parce qu on l’aime. Utiliser une langue étrangère ça permet de dire les choses de manière différente parce que tu ne vas pas le tourner de la même manière, ça donne aussi une possibilité d’interprétations différentes. Finalement c’est un peu comme utiliser différents instruments. On est vraiment très libre par rapport a ça. Si ça nous prend de chanter en espagnol parce que ça correspond mieux à la musique on y va, on ne se pose pas 100 000 questions. Mais il faut que ça ressemble à ce que l’on a envie d’entendre. Ca revient a ce qu’on disait tout a l’heure sur la réalisation, on est allés avec le dernier album dans tous les sens mais on essayé d’en faire un tout, on espère qu’il a sa cohérence, même si a l’intérieur il y a beaucoup de fils différents.

 Quel est votre phantasme musical, le summum de ce que vous voudriez créer ? GR : Notre maison de disque nous laisse une totale liberté. (N.D.R.L. Arnaud souffle a Gaëtan : Un concert sur la lune ). Un concert sur la lune ce serait impeccable pour moi, ce serait le summum. Musicalement c’est le contexte qui décide, ça dépend comment et avec qui on joue. On vient d’enregistrer l’album à moitié à deux, à moitié à cinq avec le groupe de scène. Ca dépend de tout le monde. Et puis on vient de finir un disque, il faut le temps de recommencer, de laisser poser des idées, et qui sait on va peut être croiser un instrument précis, croiser des gens avec qui on aura envie de faire un truc. On laisse venir les choses, en aucune façon on nous envoie les partitions et les textes par la poste.             

 Pensez vous que Tarmac aurait eu accès aux médias sans Louise Attaque ?GR : C’est vous qui pourriez répondre, pas nous.

AS : A partir du moment où les gens ont senti que Tarmac n’était pas seulement un album, mais un groupe, quand on a commencé a tourner, à se produire sur scène, le public a répondu présent, sans pour autant atteindre les immensités de Louise Attaque. On a senti qu’il y avait un interet pour nous pendant la tournée. Donc je pense que la presse aurait suivi toute seule aussi. Même si bien sur, le fait d’avoir été dans Louise Attaque a fait que les gens se sont intéressés a nous, et cela dès la sortie de l’album.

 Pensez vous un jour sortir de l’ombre de Louise Attaque ou y rester enfermés comme J.L.Aubert avec Téléphone?

GR : Je ne trouve pas qu’on soit dans l’ombre de Louise Attaque avec Tarmac.

 Tout de même, au moment de la sortie du premier album tous les articles commençaient  par : « les deux ex –Louise Attaque »

GR : On n’a pas réfléchi à cette question parce que on ne le perçoit pas comme ça. Mais si il y a un truc à dire c’est qu’on a fait 60 dates avec Tarmac. On n’a bien entendu pas joué une seule fois une chanson de Louise Attaque, ça ne nous a même pas effleuré l’esprit et on ne nous l’a pas demandé une seule fois.

AS : C’est pas faux : une partie de la presse pense ça, mais au fur et a mesure ça va s’estomper s’ils s’aperçoivent qu’on a créé notre propre parcours indépendamment de Louise Attaque. Le public l’a déjà ressenti dès le début. Comme  le dit Gaétan dès le premier concert le public a compris que c’était quelque chose de différent et le respecte.

 On compare votre parcours à celui de Mc Cartney avec les Wings. Après les Beatles  il a accepté de reprendre des bus et de suivre la galère simplement au nom de l’amour de la musique êtes vous d’accord avec cela ?

AS : Je connais pas très bien l’histoire de Mc Cartney après les Beatles. Je sais qu’il est allé dans le groupe de sa femme mais c’est tout ce que je sais. 

 Pour vous quel est le contexte idéal pour écouter votre musique (en faisant l’amour, la vaisselle…) ?

AS : On va pas décider à la place des gens pour savoir quand est ce qu’ils ont envie d’écouter notre musique.  Mais tout est bien.

GR : Je pense que si on commençait à faire de la musique en ayant ça en tête on ne ferait plus de la musique d’une manière spontanée mais en spéculant.

 S’il devait y avoir votre propre définition de Tarmac dans le dictionnaire ce serait laquelle ? 

AS : Elle y est déjà. On a choisi le nom de Tarmac car il évoque un grand sentiment de liberté, le minimum de cloisonnement. Il renvoie à ce qu’on disait tout a l’heure sur la chanson de Brassens. Le Tarmac (lieu où partent et arrivent les avions) c’est le premier contact avec une terre. Cela évoque l’image d’un espace qui appartient à personne. Notre espace n’appartient à personne.

Vous avez été nominés deux fois avec Louise Attaque aux Victoires de la musique (1999 & 2001) que pensez vous de ce genre d’émission ?

GR : On n’y est pas allés.

AS : On s’en fout complètement. C’est des conneries. Mais ça fait quand même plaisir. On n’est pas insensibles au fait de plaire au gens, de vendre des disques à un public large, on est contents d’être apprécies, de remplir des salles. C’est quand même une forme de reconnaissance, ça montre que ton travaille intéresse les gens. Si tout le monde s’en fout c’est dur. Tu ne fait pas un disque pour que les gens t’oublient. Mais une fois de plus c’est pas une médaille décernée par trois guignols qui nous intéresse.  

 Que pensez vous de la chanson des Wampas « Manu Chao » qui est un peu moqueur avec Louise Attaque ?

GR : C’est un tube…

Oui mais encore ? (N.D.L.R. nous commençons a fredonner « si j’avais le portefeuille de Louise Attaque »)

GR : C’est un tube. (N.D.L.R. Gaétan nous reprend c’est « si j’avais le compte en banque de Louise Attaque »)        

Vous partez sur une île déserte, vous n’avez le droit d’emporter :

Un disque : AS : Electric Ladyland D’Hendrix

Un film :     AS : L’aventure c’est l’aventure

                    GR : ou la chèvre

Un livre : GR : L’intranquillité de Bernardo Soares. Ce bouquin m’accompagne tout le temps, tu peut le lire n’importe quand, même si tu lis autre chose, tu peux l’ouvrir à n’importe quelle page pour le lire au hasard.

 

A la seconde où l’enregistreur fut débranché Gaétan se précipita vers nous pour s’excuser de ne pas avoir plus joué les jeux de l’interview, notamment sur les questions ayant trait a l’analyse de ses textes. Il nous expliqua qu’on lui avait fait des compliments et qu’il lui semblé impossible d’y répondre sans avoir l’impression de donner une image fausse de lui d’être prétentieux, ce qui est loin d’être le cas. Durant ces quelques minutes Gaétan s’était lâché libéré de la pression de l’interview. De son coté Arnaud entamait une discussion sur un projet de tour du monde. Il ne nous en fallait pas plus, nous étions convaincus, conquis. Voilà des gens qui sont restés simples et humbles, qui préfèrent l’être au paraître. « Faut pas se laisser gagner par l’euphorie de croire qu’on est un Homme important ».

Marseille le jeudi 22 Mai 2003

                               

  Propos recueillis par

Christelle Moreau & Simon Pégurier.

                                               (Merci a Ariane & Barbara)


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