Dick Annegarn : Dépressif Heureux

Dick Annagarn refuse l’image Baba-cool, marginal, qui lui colle à la peau depuis ces débuts en 1973, pourtant il se dit décalé se protégeant du monde dans son refuge pyrénéens. Personnage Haut en couleurs, a la fois Schizophrène, attachant et atypique, traçant inlassablement son sillon si singulier dans le paysage de la chanson française. Revenant aujourd’hui dans l’actualité avec « Plouc » un album fragile, épuré,  tous cuivres en avant « Plouc » un Clin D’œil à la fois à lui même et au monde. Tous les niveaux de lecture pouvant être envisagés

 

Tu passes pour être décalé, marginal, acceptes tu et cultives tu cette étiquette ?

La légende a écrit ça, mais ça n’a pas été un choix de partir dans les chemins de traverse. J’ai fait de l’auto production car personne voulait me signer. J’ai simplement quitté la compétition un moment. D’ailleurs on a essayé de me marginaliser plus que ça, de me rendre Hippie. Hippie ça n’a jamais été un patrie, un livre, une philosophie, ça a simplement été ridiculisé ensuite par les médias. Les hit Parade ne correspondent pas à l’actualité artistique, Miles Davis ou « V’la le bon vent » on ne les entend jamais a la radio pourtant c’est réputé et connu. J’ai simplement voulu dire que je ne voulais pas être plus Renaud que Renaud, plus rebelle que critique, plus folk que Willie Godfrie. Je n’ai pas a répondre au canon de la mode.

Considères-tu qu’être chanteur est un métier?

Bien sur. Ecrire ça s’apprend, jouer de la guitare ça s’apprend. Produire un disque ça s’apprend. Internet ça s’apprend. Je suis en auto formation permanente depuis 30 ans. Métier : il y a un aspect technique, même écrire : pour qu’un accent tombe bien « mille fois tu reprendras ton ouvrage », c’est pas je fume un joint je bois un verre de vin et j’ai une idée. Il y a déjà la souffrance de la feuille blanche. Je ne peux en vouloir à personne si je n’ai pas d’idée pendant plusieurs mois. Cette irrégularité, cette vie élastique aussi est une souffrance on est très important puis on est rien du tout. Par exemple mon répondeur n’a pas fonctionné pendant deux ans et depuis deux semaines il n’arrête pas. Artiste c’est une insulte pour beaucoup de gens.

Est ce un choix d’alterner les périodes avec ou sans musique ?

Je le vis beaucoup mieux qu’avant. Bashung dit « C’est comment qu’on freine », c’est un jeux de mots bien sur. Lui aussi vit ces deux vies de fumigène, de spot light qu’est le rock & Roll, et de temps en temps, comme vous les journalistes devant une bière il se pose des questions que tout le monde se pose, du style qu’est ce que je vais faire ce soir.  C’est aussi une certaine forme de schizophrénie. Bashung est un type fêlé comme moi. L’ivresse de la vie artistique est exaltante mais très vite lassante. J’apprécie beaucoup les différentes lumières des Pyrénées où je vis, je les aime autant si ce n’est plus qu’un Olympia ou Bataclan plein. Pour moi  tout est important du moment qu’on s’y attarde. La vie publique c’est une partie de ma vie ce n’est pas ma vie. J’ai des plaisirs comme tout le monde : lumière, amours, bouffe. Je coupe du bois, je suis mon chien, j’ai une maison, je suis seul. Je m’occupe d’un festival du verbe, je suis webmaster. J’habite dans un village de 40 habitants, je vais voir ma voisine qui a 82 ans, à la fin de la période du gel je vais lui faire une bouture car j’aime bien ses buissons. Dans les périodes où j’ai pas de disques, je milite, je m’occupe très bien.    

 

 Tu parles de toi comme d’un fêlé, moi je dirais un dépressif heureux ?

Oui c’est bien vu. Pourquoi les bouddhistes sourient-ils après le tsunami ? Ils sont calés, la vie est souffrance, donc quand la vague s’arrête on est heureux. Rimbaud a dit « science et patience le supplice est sur ». Donc oui il y a une lutte, des qu’on avance on est heurté, l’immobilité si c’est ça la dépression, oui j’aime bien une certaines forme d’immobilité. Chercher des choses intemporelles, ne pas avoir de plaisir d’attachement. C’est une vie monastique qui va très bien a la poésie. Le résultat c’est « plouc » un disque pur.

As tu cherché le coté amateur, direct, rustre de « plouc » ?

C’est aussi parce que je vis a la campagne ; en ville j’ai beaucoup de mal a fixer mes idées. En ville on est sollicités constamment donc on zappe tout le temps, il n’y a pas d’idées qui se forment.

J’aime bien la poésie chinoise donc j’ai voulu habiter dans un poème chinois, avec une  brume, une lumière. Le disque est sorti de là.

Pourquoi te titre « plouc »  te l’attribues tu  à toi même ? 

Plouc est un disque assez banal. Je me suis donc dit qu’il ne fallait pas trop intellectualiser un disque épuré. J’ai aussi voulu faire rire, j’en est marre des artistes comme Maxime le Forestier ou Catherine Lara ; ils se prennent tous pour Moïse en haut de la colline, ils viennent dire la vérité au monde. Moi j’écris une chanson et les gens sont plus heureux. J’ai pas besoin de passer chez Fogiel pour exister, les enfants me chantent, ça me suffit. Les enfants c’est pas des idiots non plus. 

Plouc je l’assimile à moi, mais nous sommes des milliards de décalés et de plouc. Comment être sérieux, avec le Tsunami il y a eu énormément de morts mais il y a beaucoup de fous maintenant, ça c’est une catastrophe mais même sans catastrophe tu vas dehors et franchement des mecs pas décalés il n’y en a pas beaucoup. Je me considère comme normalement décalé.

 

Il y a un coté Vian dans ta musique.

Comme lui je suis pataphysisien. Comme Henri Salvador et Boris Vian je fais partie du collège de pataphysique. Je me sens très proche de Salvador qui a fait beaucoup de 45 tours qui sont délicieux. Henri Salvador c’est pas un militant humaniste. C’est un Homme drôle et tragique en même temps c’est un clown triste. Plouc c’est un peu ça.

Tu dis avoir voulu faire un disque plus levé mais il y a quand même des titres engagés comme  « J2M » ou « trois Petits cochons ». 

On rigole de Ubu mais c’est quand même un méchant petit tyran qui va faire la guerre en Pologne. Bush, Blair et Asnar c’est pareil, c’est des petits Ubu sauf que ça coûte cher en vies humaines leurs conneries. On parle du Tsunami, Bush se dit empereur des libertés mais il y a eu 250 000 morts à la première guerre du golf et à la deuxième on ne sait pas, les journalistes n’y ont plus accès et les américains se priveront bien de dire le nombre de morts de leur ranch. Quand on les voit dans leurs petites voitures de Golf avec leurs téléphones portables il sont dangereux. Donc je rigole dans l’album mais j’en parle quand même, ce qui est sympas c’est que c’est réussi. Avant j’avais un titre compliqué alors on me disait d’être plus simple. Maintenant que je fais des chansons plus légères, les chansons plus lourdes ressortent mieux. J’ai fait des pochettes avec l’intifada en couverture ça n’as pas été vendu.

Redevenons plus terre a terre me voilà Moïse en Palestine.   

Je trouve la musique de Mathieu  Boogaerts très proche de la tienne es tu d’accord ?

Moi je ne trouve pas. Je l’aime beaucoup… enfin  le bonhomme. Je trouve ces chansons très pop anglaise, chose que je ne suis pas. On a fait un titre ensemble pour un disque de Duo a sortir chez Tôt ou tard mais Mathieu c’est pas Dick et Dick c’est pas Mathieu. Les influences communes moi je ne les vois pas. Ils y a une connivence d’esprit mais musicalement je ne vois pas. Mathieu il est bien barré il adore les films kitch indien, moi j’ai jamais vu un film indien de ma vie. J’ai jamais vu un film de ma vie, de toute façon je ne vais jamais au cinéma. Mais on s’adore on se parle, on discute, on s’envoie des mails. On est ensemble sans être pareils, aucun n’a décalqué  sur l’autre.

 

Ce sont quand même les Deux Mathieu : Booagerts et M (Mathieu Chedid) qui t’ont relancé auprès des jeunes générations ?  

Il était temps. Ils m’ont ramené des jeunes j’en avais marre des babas-cools.

Mathieu Boogearts tourne souvent seul. Quel est ta formule ?

On est trois sur scène : tuba et cor harmonie, on joue aussi un peu d’accordéon. C’est un concert basé sur les cuivres.

C’est donc a quelque chose près le son de l’album « Plouc »?

Oui c’est rude, raide. Mais chacun a sa perception de l’album moi je l’ai vraiment trouvé pur et puis entendu une fois fini j’ai flippé je me suis dit tu as accouché d’un monstre, j’avais une impression déstructurée. La perception de l’album dépend du moment ou on l’écoute.

Je cherche à avoir un son dont on se rappelle sans l’entendre. La formule ressemble aussi beaucoup à la région ou j’habite. C’est le son qu’on a dans les fêtes populaires du sud dans les corridas, c’est dans l’esprit des trompettistes amateurs.

Il n’y a pas de percussion mais mon écriture est rythmique métrique elle a une percussion dans la voix.

Présenter comme modernité des samples ou séquences qui ne sont qu’une mauvaise batterie c’est une drôle de modernité, moi j’essaye à chaque fois de faire avancer le chimlblic.

Et puis ça correspond aussi a l’argent que j’avais devant moi. Je veux bien qu’on invite un orchestre symphonique pour ne garder qu’une seul note ou faire un tapis mais moi je ne peux pas. C’est un disque qui correspond a la pauvreté de moyen. Je ne veux pas étoffer la maigreur des moyens avec de l’informatique. De toute façon la chanson doit être transportable facilement, je n’ai jamais voulu me déplacer en camion. Aujourd’hui le moindre petit groupe ils sont 6,7 avec une costumière, une metteuse en scène… 

J’ai toujours milité pour une production légère et qu’est-ce qui existe de plus léger qu’une voix. J’espère qu’on me chante dans les salles de bains en plus on a la réverbération c’est gratuit.

 

Des coups de cœur en musique, littérature et cinéma ?

J’ai jamais acheté un disque de ma vie, je ne vais jamais au cinéma et je suis en train de relire un livre qui s’appelle la joute poétique, les tensions médiévales. Le rap c’était mieux version occitane et médiévale. Donc je bouquine toujours autour de mon occupation la poésie la culture berbère, toutes les culture orales. Je lis beaucoup de revues d’ordinateur et deux trois journaux par jour mais pas de roman. 

Je suis agitateur depuis 1952 mais je ne vais pas dans le grand bazar ou il y a 50 000 références, parce que je suis dégoûté il y en a beaucoup trop.

Allez je vais jouer le jeu :

Disques : John Coltrane et Thelmus Monk, Statie, les premiers Dylan, J’ai une collection de chansons hongroises des années 50 enregistrées par Bartok avec son gramophone à l’envers et où il a fait chanter les paysans la dedans.

Livres : les livres de Iachir Kemal : Memed le mince, le faucon ; toujours des livres sur des bandits. Mais je lis trop peu.Pour mon travail je lis sur la poésie, il y a l’anthologie de la poésie chinoise  classique qui est un livre sur lequel  je reviens souvent

Cinema : Ca fait bien 10 ans que je ne suis pas allé  au cinéma et a la télé je zappe. Je n’aime pas cette discipline. Je n’ai aucune culture cinématographique j’ai du voir King Kong la première version qui m’a effrayé, j’ai vue Easy rider  ça ma rendu violent, donc j’ai arrêté.

Le cinéma c’est une discipline ordonnée pour faire un effet violent sur l’esprit. C’est Mc Lean qui dit que « le cinéma est une intervention très grave dans la continuité de la pensé ». Il n’y a qu’en rêve qu’on est aussi violent. Je me méfie énormément de l’effet que ça a sur moi et sur les autres. On peut fermer un livre et le reprendre après alors qu’au cinéma c’est tellement bien fait qu’on est fascinés. Et dans Fasciné il y a fasc. pour Facho, fascisme. Il y a un fascisme cinématographique, c’est devenu une autre réalité et donc la réalité   

Propos recueillis par Simon Pégurier & Benoît Belasco

Carros Le 4 Février 2005

 L’interview est disponible en écoute sur notre page Wat Tv :  www.wat.tv/audio/interview-dick-annegarn-5cn2z_2hw3j_.html

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